Santiago

 La lente descente inexorable de ce court roman rend à la Shoa une réalité presque palpable. C’est par l’une de ses victimes collatérales que l’extermination des juifs ressort de l’obscurité de l’Histoire.


Un homme.

Simple, doux et dans la force de l’âge, Vincente, vit en Argentine. Il s’y est composé un petit paradis commun. Sa femme et ses enfants forment le quotidien de son existence, douce et ponctuée de bonheurs simples. Seulement, les années trente se finissent. Seulement, 1940 vient le briser. Vincente est un immigré polonais, juif. Varsovie est loin. Et dans Varsovie, il y a son frère, et sa mère.

Le Ghetto intérieur est un récit puissant où l’on voit la culpabilité d’un homme qui ne vit pas la Shoa. Pourtant, elle le consume. Ce texte interroge tout à la fois sur cette question de la judaïcité s’imposant à ceux qui la croyait secondaire ou endormie, sur l’abandon, sur l’exil ou la mort – souvent tue – et pourtant omniprésente. Interroger l’innommable aussi car voici un massacre sans nom, ou aux nombreux noms hésitants.

De par sa facture, le Ghetto intérieur prend des ressorts de sa dramatisation chez Kessman Taylor, et son Inconnu à cette adresse, car des lettres s’échangent, ou pas, se taisent ou disparaissent. Pas ici de grande nouveauté dans le style ou dans le propos général, mais plutôt une nécessaire réanimation d’une réalité mémorielle qui prend de sombres échos presque quatre-vingt ans après. Il est des signaux d’alerte à ne pas oublier.

Enfin, il y a un tour de force : celui de parler du silence. Des pages et des pages de mutisme où Vincente hurle en lui-même, seul dans son monde intérieur. Il brûle en dedans l’horreur du feu qui consume les juifs d’Europe.

L’auteur rapporte ici l’histoire de son grand-père et expose l’obligation affective et psychologique qui a mis en branle son œuvre. Cet encrage n’est pourtant pas nécessaire, car l’universalité des liens qu’unissent un fils à sa mère dépasse Vincente, l’Histoire ou la Shoa pour parler à chacun de nous avec vérité.

 

Le ghetto intérieur / Santiago H. Amigorena

 

Philippe