LessingOn ne présente plus Doris Lessing, grande dame de la littérature anglaise et prix Nobel de littérature en 2007. J'ai découvert l'auteure avec le Cinquième enfant, récit à la frontière du fantastique qui plonge le lecteur dans un malaise et une horreur croissante. Je la retrouve, quelques années plus tard, dans ce qu'elle-même considérait comme le sommet de son œuvre : Shikasta, un roman de science-fiction assumé qui s'inscrit de manière indépendante dans un cycle de cinq ouvrages.

Doris Lessing relate l’histoire d’un monde qui pourrait être le nôtre. Un monde sur le berceau duquel se sont penchés deux empires galactiques antagonistes, Canopus et Sirius, qui s’en sont partagé les terres pour chacun de son côté y conduire des expériences évolutionnaires. Et c’est du point de vue des émissaires de Canopus, venus rendre compte des résultats de ces manipulations à l’échelle d’une planète, que va nous être narré le destin tragique de l’humanité – celle de notre Terre. Plus généralement encore, c'est un roman sur la perte du lien et surtout du sens, problématique au combien prégnante dans nos sociétés

Le talent de Doris Lessing allié à ce résumé alléchant, Shikasta avait vraiment tout pour me séduire. En principe. Car je ressors partagée de cette lecture.

La forme, tout d'abord, est déroutante. Succession de rapports, lettres, documents d’archive, journaux intimes de shikastiens, il est difficile pour le lecteur de suivre le récit, d'autant plus que la chronologie du récit n'est pas linéaire. Le style également, froid et analytique est, à mon sens, assez mal dosé: alors qu'il aurait pu se justifier pour mettre au second plan les protagonistes afin de mettre en valeur le véritable personnage principal de l'histoire, Shikasta, ce monde quasiment personnifié, il ne parvient qu'à désintéresser le lecteur de l'intrigue toute entière. Certains passages sont même ennuyeux et la lecture en devient laborieuse. Même le propos a des failles: le début porte une mystique assez écœurante qui frise le créationnisme, tandis que la dimension moralisatrice et le profond pessimisme envers l'espèce humaine (une espèce dégénérée d'arriérés selon Doris Lessing) donnent une pesanteur certaine au récit, sans même qu'elle soit utile au texte ou justifiée qu'une quelconque manière.

C'est dommage. Car Shikasta, c'est aussi la plume magistrale de Doris Lessing (les trente dernières pages sont proprement époustouflantes), et des pages parfois traversées par de purs moments de grâce littéraire qui sonnent terriblement juste. Jugez plutôt:

"Je n'ai jamais, avant ou depuis, éprouvé si fort cette sensation d'être avec quelqu'un et de savoir que, du début à la fin, une partie de cette personne est là, avec soi, réelle, vivante, attentive, et que, pourtant, l'essentiel de ce que l'on dit n'atteint pas cet être silencieux et invisible et que les paroles qu'il prononce viennent rarement de son moi réel. C'est comme si quelqu'un se tenait en face de moi, ligoté et bâillonné , tandis qu'un mauvais imitateur parlait à sa place."

En somme, un roman ambitieux (trop peut-être ?), plein de bonnes qualités mais qui à mon sens n'a pas su trouver son rythme, et dont le potentiel initial ne parvient pas à se développer au fil des pages.

 

Shikasta / Doris Lessing

 

Marion

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